latin : proscenium, du grec proskênion, de skênê, avant-scène

Spectacle vivant : les principaux enjeux de la billetterie en ligne

m-ticketEn se dématérialisant, la billetterie expose le secteur du spectacle vivant tout entier aux ruptures technologiques dont le numérique est porteur. En tant que formidable levier d’innovation dans les services (e-ticket, m-ticket, CRM, paiement sans contact…) et dans d’autres propositions de valeur associées au spectacle vivant (forfaits, voyages, cadeaux, merchandising…), la maîtrise de sa chaîne de valeur devient essentielle.

Plusieurs facteurs ont favorisé dans un premier temps l’externalisation de la billetterie en ligne par la grande majorité des producteurs de spectacles et des lieux de diffusion : complexité technologique ; enjeux techniques éloignés du cœur de métier ; absence de savoir-faire en interne ; et coûts de développement élevés sans réelle perspective de retour sur investissement, ont eu raison des velléités d’intégration de cette fonction par la profession.

Une longue marche vers le zéro papier

La difficulté à être visible sur Internet, seul au milieu d’une offre pléthorique, a également constitué un frein à l’adoption de solutions internes avec serveurs et base de données centrale, trop lourdes à mettre en œuvre, à maintenir et à amortir. Producteurs de spectacles et exploitants de lieux ont privilégié le référencement sur les principaux réseaux de distribution en ligne que sont France Billet (filiale de la Fnac), Ticketnet (Live Nation) et Digitick (Vivendi), qui dominent très largement le marché.

Tout type de représentations confondues, les ventes physiques de billets de spectacles restent structurellement dominantes en France. Elles pesaient encore 85 % du marché en volume au début de la décennie. Mais alors qu’elles stagnent ou refluent, la billetterie en ligne connaît un taux de croissance de l’ordre de 15 % à 20 % par an. « Les améliorations constantes apportées par les distributeurs de billets en ligne pour vendre et délivrer les billets (sélection du placement, édition d’e-ticket, présentation de m-ticket) contribuent à faire changer les comportements des acheteurs. Ils y trouvent également une solution simple et rapide qui permet d’éviter les traditionnelles files d’attentes aux guichets et d’accéder dès les premières heures à la mise en vente des concerts-événements », explique Rodolphe Oulmi, directeur du développement et des partenariats chez Webloyalty France et spécialiste du e-commerce.

Légalisé en 2007, le « e-ticket », ou billet électronique, remplace peu à peu le billet papier. La disparition totale du papier n’est pas encore à l’ordre du jour, mais son déclin est programmé. La France a une longueur d’avance dans la délivrance de billets électroniques, quand l’achat de billets papier par correspondance sur Internet reste le mode opératoire privilégié dans de nombreux pays. Le différentiel en terme de coût de distribution favorise cette évolution – la délivrance d’un billet électronique est facturée entre 0,5 € et 1,3 € au client, contre 5 € à 6 € pour un envoi postal.

Le billetterie devient mobile

L’usager imprime de plus en plus son billet lui-même, ou bien la salle. Et le « zéro papier », porté par le développement des ventes sur mobiles, commence à s’imposer : codes-barre et autres QR Codes qui s’affichent désormais sur l’écran des smartphones constituent d’authentiques billets. Le matériel de contrôle d’accès est généralement fourni par les distributeurs, qui le vendent ou le louent aux salles et aux producteurs. La compatibilité entre les différents systèmes est assurée, de sorte que les douchettes (lecteurs de code-barres ou simples téléphones mobiles) peuvent lire tous les billets.

Depuis une dizaines d’années, le marché de la billetterie en ligne s’est fortement développé. En 2009, il pesait 20 millions de billets vendus en France, tout type de spectacles confondus, soit 11 % du marché en volume. En 2011, la FNAC, leader incontesté de la distribution, estimait la part de marché de la billetterie en ligne à 15 % des volumes. Courant 2014, elle atteignait 20 %, selon Christian Sere-Annichini, patron de Digitick. Cette évolution est encore plus marquée sur d’autres territoires, où la billetterie en ligne pèse jusqu’à 50 % du marché. Tous secteurs confondus (musique, danse, théâtre…), la part dominante des ventes directes sur le lieu de l’événement, en France, peut expliquer ce différentiel.

Hors vente directe, aux guichets ou sur Internet, la part des ventes en ligne est de 50 % chez un intermédiaire comme France Billet, filiale de la Fnac, qui vend autant de billets sur ses sites Web et ceux de ses nombreux affiliés que dans ses 750 points de vente physiques en magasin. « La vente physique est appelée à perdurer mais dans une proportion bien moindre qu’aujourd’hui. Certains producteurs estiment déjà la part de l’e-ticket à 40 % de leurs ventes, et selon le SMA [Syndicat des musiques actuelles], 70% des ventes de billets se feront en ligne dans les salles de musiques actuelles à l’horizon 2015 », confiait en 2013 Eddie Aubin, fondateur de la société de services MyOpenTickets et auteur d’une étude sur le marché de la billetterie en ligne, au site de l’Atelier BNP Paribas.

Nouveaux entrants du cloud et de la marque blanche

Dans ce contexte de montée en puissance de la billetterie en ligne, une multitude d’acteurs, à l’instar de Digitick, Ticketlib, Placeminute, Festik, Tick&Live ou Weezevent, proposent des solutions en marque blanche hébergées dans le « cloud », sur leur propres serveurs, sur le modèle du SaaS (Software as a Service). Ces solutions sont susceptibles de favoriser le développement de la vente directe sur Internet et de remettre en cause certaines positions dominantes à terme. Elles se caractérisent par l’intégration de nombreuses fonctions avancées : gestion du up-selling et du cross-selling ; billetterie Web pour les individus, groupes, professionnels et VIP ; interface multilingue et multidevise ; ventes privées, codes promotionnels, paiement sécurisé, gestion des e-tickets et m-tickets, de la base de données clients, etc.

« Nous offrons aux organisateurs d’événements une billetterie en ligne ‘self-service’ accompagnée d’un double réseau de distribution comprenant à la fois notre site web, qui propose un agenda par type d’activités (soirées, théâtre, loisirs etc.), et un réseau de partenaires affiliés. Nous nous adressons principalement à des acteurs de petite et moyenne taille en leur proposant des prix assez bas avec une commission de seulement 0,99 euros TTC par billet », explique Guillaume Gondoin, co-fondateur de Placeminute. Le rachat de Weezevent par le site de e-commerce Vente-privée, début 2015, voit un nouveau poids lourd de la vente événementielle mettre la main sur l’un des acteurs les plus prometteurs de ce secteur, avec une croissance record sur les cinq dernières années.

Créée en 2008, Weezevent répondait à un véritable besoin : « Alors que nous étions organisateurs d’événements, nous ne trouvions pas de solution pour vendre des billets directement sur notre propre site Internet. Comme d’autres organisateurs rencontraient les mêmes difficultés, l’idée de créer une solution de billetterie et d’inscription en ligne en self-service, qui répondrait parfaitement à notre propre besoin, a fait son chemin » , expliquent ses fondateurs sur le blog de la compagnie.

Concentration à tous les étages

A une échelle industrielle, l’enjeu que revêt la maîtrise de la chaîne de valeur de la billetterie en ligne a provoqué un mouvement de concentration verticale dont la fusion entre l’américain Live Nation, numéro un mondial de la promotion de concerts et Ticketmaster, numéro un de la billetterie, est emblématique. En France, la nouvelle entité Live Nation Entertainment a racheté dans la foulée le réseau Ticketnet, numéro deux de la vente « intermédiée », physique et en ligne, avec 30 % de parts de marché – contre 55 % pour France Billet. Ultra-concurrentiel, mais aussi très concentré et relativement opaque – le secteur n’a publié aucun chiffre officiel depuis 2010 -, le marché français de la billetterie en ligne est longtemps resté sous la coupe de ses principaux acteurs.

Fin 2012, les autorités de la concurrence ont ainsi condamné la FNAC, France Billet et Ticketnet pour entente illégale. « Fnac, France Billet et Ticketnet ont accordé leurs violons sur le montant des commissions demandées aux producteurs pour la commercialisation des places de concerts afin que ces commissions soient les plus élevées possibles », expliquait un communiqué de l’Autorité. Leurs manœuvres ont également visé selon elle, entre 2007 et 2008, à empêcher l’arrivée d’un nouvel entrant comme Digitick, pure player Internet et filiale de Vivendi, en menaçant de ne pas commercialiser les spectacles des producteurs ayant négocié des partenariats avec ce dernier.

Ce mouvement de concentration s’est également traduit par des rapprochements entre acteurs de la billetterie présents sur différents segments de marché. En 2009, Digitick a ainsi mis la main sur Zepass, spécialiste de la revente « légale » de billets entre particuliers sur Internet, avant de se porter acquéreur un an plus tard de Satori, éditeur de logiciels de back office pour la gestion de la billetterie physique et du public, dans les lieux culturels, de visite ou autres. En 2011, l’éditeur du logiciel de billetterie manuelle Oscar devenait actionnaire du pure player de la billetterie en ligne Moxity ; et un an plus tard, la FNAC faisait l’acquisition de Kyro Concept, éditeur du logiciel de billetterie Apparté, qui équipe de nombreux théâtres et salles de concert.

« Yield management », second marché et CRM au cœur des nouveaux enjeux

Depuis, le groupe Fimalac, qui a pris des positions fortes dans la production de spectacles et la gestion de salles, a pris une participation de 50 % dans le capital de Kyro, devenu Tick&Live, aux côtés de la Fnac. En 2013, le groupe Lagardère faisait l’acquisition de Billetreduc pour une douzaine de millions d’euros. Toutes ces opérations visent à élargir la palette de solutions de billetterie proposées (physique, en ligne, en marque blanche, pour la revente de billets) de manière à maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur.

Plusieurs enjeux se dessinent en tache de fond. La dématérialisation de la billetterie en ligne permet notamment de mettre en œuvre des techniques de « yield management », ou « gestion du rendement » en français, qui consistent à pratiquer des prix différenciés en temps réel, en fonction d’un certain nombre de facteurs comme l’évolution de la demande. Certains acteurs du marché, comme Vente-privée avec Weezevent, envisagent clairement de le faire, pour optimiser le taux de remplissage des salles de spectacles comme on optimise celui des avions.

« Le yield management consiste dans la gestion fine des capacités disponibles afin d’optimiser le chiffre d’affaires d’une entreprise, en utilisant la technique marketing de tarification flexible », explique Eddie Aubin chez MyOpenTickets. Qu’une forte demande s’exprime, et le prix des billets s’inscrira dynamiquement à la hausse. A contrario, une faible demande entraînera une évolution dynamique des prix à la baisse. « Des entreprises de spectacle commencent à s’y préparer et à entamer à ce sujet les réflexions relatives à l’adaptation de leur organisation interne, y compris de grandes institutions culturelles publiques. Car le yield management implique un changement de la politique de communication ainsi qu’un investissement lourd en matière de logiciel », poursuit-il. Mais les consommateurs de spectacle vivant sont-ils prêt à admettre que leur voisin de travée ait payé son billet deux fois moins cher ?

Un autre enjeu de la billetterie en ligne est l’encadrement du « second marché » de la revente de billets entre particuliers. Certains acteurs, comme ZePass (Digitick), gèrent les bourses d’échanges officielles de plusieurs grosses manifestations ; quand d’autres, comme Tick&Live (France Billet), mettent leur propre bourse d’échange à la disposition de leurs clients. Le recours au Yield management, cependant, en permettant au consommateur de trouver son bonheur en terme de prix cassés sur le premier marché, risque d’assécher le second marché. Le développement de la billetterie en ligne en marque blanche permet par ailleurs au producteur de spectacles de remettre la main sur son fichier clients, que les distributeurs traditionnels se refusent en général à lui communiquer. Des briques de CRM (Customer Relationship Management, ou gestion de la relation client) viennent ainsi enrichir progressivement les offres de solutions self-service qui irriguent aujourd’hui le marché.

Pour aller plus loin, lire le dossier sur « La billetterie du futur » publié par l’IRMA, assorti de nombreuses interviews d’experts et professionnels

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