latin : proscenium, du grec proskênion, de skênê, avant-scène

Le mariage du « ticketing » et de la data

ticketdataLes analytiques, qui sont le fruit d’analyses systématiques de données et de statistiques par ordinateur, pénètrent aujourd’hui au cœur de tous les métiers. Les techniques et technologies permettant de traiter de très gros volumes de données à un coût abordable se généralisent. C’est la révolution des Big Data. Le secteur de la billetterie (pour les concerts, les événements sportifs, les spectacles) est l’un des premiers à s’y frotter.

Dès 2011, le géant américain de la billetterie Ticketmaster, filiale de Live Nation, créait son département Live Analytics : une équipe de statisticiens et de chercheurs chargés d’insuffler un peu d’intelligence à la gestion de ses affaires par une meilleure compréhension des fans. Qui sont-ils ? Quel est le meilleur moyen de communiquer avec eux ? Peut-on avoir, pour chacun d’eux, une vision de sa « lifetime value » (sa valeur client tout au long de son cycle de vie en tant que tel) ? Et surtout, comment tirer parti de cette meilleure compréhension des fans pour rendre plus efficient le business de la billetterie ? Autant de questions auxquelles permettent de répondre les analytiques que produit le mariage du « ticketing » et de la data.

« Nous n’étions pas une ‘data company’ il y a deux ans. C’est devenu un élément critique de notre proposition de valeur aujourd’hui, confiait John Forese, directeur général de Live Analytics, lors d’une présentation des travaux de son département à l’occasion de la conférence MIT Sloan Sports Analytics de Boston en 2012.  Chaque mois, nous accueillons 26 millions de visiteurs uniques […]. Notre base de données globale est aujourd’hui de 211 millions de profils […] ; avec une centaine de milliers d’événements dont nous avons assuré la billetterie l’an dernier ; et 150 millions de billets écoulés pour des événements sportifs. C’est beaucoup de données. »

Pour son équipe, l’enjeu était de remplir les 26 % de sièges qui restent vides en moyenne lors d’événements sportifs (35 % dans le cas des concerts), ce qui représente selon lui quelques 50 millions de billets invendus pour Ticketmaster, et un manque à gagner de l’ordre de 900 millions de dollars,. « Peut-être que les acheteurs potentiels n’étaient pas avertis, ou que les prix n’étaient pas les bons, mais même si vous ne mettez la main que sur 10 % à 20 % [de cette manne potentielle], c’est plus de 100 millions de dollars qui peuvent être récupérés », explique-t-il. De quoi faire progresser de quelques points le chiffre d’affaires de Ticketmaster (1,7 milliard de dollars en 2015).

Les fans de Jay-Z aiment le basket, ceux de Springsteen préfèrent le hokey

Le profilage des clients de Ticketmaster a permis de tirer un certain nombre d’enseignements des données disponibles. Le premier d’entre eux, c’est que les dépenses moyennes du consommateur américain dans l’achat de billets pour assister à des événements sportifs ne représente que 6 % de son budget consacré aux loisirs. « Il y a une très grosse opportunité d’augmenter cette part », estimait John Forese. Au cours de l’année 2011, 55 % des américains ont assisté à un événement « live ». Les jeux de données dont dispose Ticketmaster ont permis d’établir de nombreuses correspondances multi-segments : ainsi constate t-on que lorsque une personne est déjà allée voir un concert dans l’année, il y a deux fois plus de chances qu’elle assiste à un événement sportif, et vice versa. Ces correspondances donnent des indications sur sa propension à acheter un billet, et permettent d’opérer un premier ciblage des prospects.

En croisant les informations sur la billetterie sportive et sur celle des concerts, et en se limitant au top 100 des artistes, les équipes de Live Analytics ont également pu déterminer que les amateurs de tennis ont une forte propension à aller voir des concerts. « Si vous trouvez un amateur de tennis, c’est bon pour vos affaires en tant que groupe de musique live », s’est amusé John Forese lors de sa présentation. Les amateurs de football sont plus sensibles aux artistes latinos, et les amateurs de baskett au hip hop. Enfin, les fans de Jay-Z ont 3,6 fois plus de chances d’aller voir un match de basket dans l’année, quand c’est chez les amateurs de hockey que l’on trouvera le plus de fans de Bruce Springsteen.

Les données socio-démographiques, de genre, ou la fourchette des revenus annuels sont également des données intéressantes à croiser avec celle de la billetterie. Elles ont permis à Live Analytics de déterminer, par exemple, que c’est souvent un homme qui achète les billets – sauf dans le cas du tennis ou de la moto, où les femmes prédominent légèrement. De même, ceux qui se rendent à des matches de tennis ont plutôt un pouvoir d’achat élevé, quand le fait d’avoir une voiture de luxe caractérise souvent les amateurs de baskett. L’historique des transactions permet quand à lui de cibler ceux qui sont déjà venus une ou deux fois dans le lieu de l’événement, de savoir s’ils préfèrent les petites salles ou les grandes, etc.

Les réseaux sociaux en appui

Autre enseignement, plus démographique : les 16-24 ans, qui représentent 26 % de la population, n’achètent que 9 % des billets,  quand les 25-34 ans pèsent 37 % de l’inventaire vendu par Ticketmaster en volume. « Notre mission est de comprendre le fan d’événements live, explique John Forese. Pour se faire, nous nous appuyons sur de multiples sources de données [données de transactions, études, données d’engagement, jeux de données tiers, ndr]. Nous recherchons des éclairages sur tous les aspects de la participation à un événement live : sensibilisation du public, satisfaction, données démographiques et psychographiques. »

Ticketmaster a noué un partenariat avec Facebook afin que les dates de concert officielles de sa base s’affichent automatiquement sur les pages Artiste du réseau social, et que les internautes puissent acheter directement des billets. Une intégration qui n’est pas désintéressée : « Chaque fois que quelqu’un diffuse une invitation collective à un événement sur Facebook, nous enregistrons un revenu supplémentaire de 5,3 dollars », confie John Forese. Ticketmaster accède en outre, via Facebook, à toutes sortes d’informations « sociales » sur ses clients. Elles permettent de savoir les artistes qu’ils aiment, leur sport préféré, ou avec qui ils vont voir des concerts. 

« Souvent quelqu’un achète des billets pour plusieurs personnes. Le panier moyen d’une transaction est de 2,7 billets. Nous savons des choses sur l’acheteur, mais rien sur les autres. Et c’est un vrai trou dans la compréhension d’une fanbase, fait remarquer John Forese. […] C’est là que les réseaux sociaux vont vraiment vous aider. » Facebook en particulier, 64 % de ceux qui assistent à des manifestations sportives l’utilisant, contre 35 % pour Twitter.

Les données traitées permettent d’attribuer un score à chaque profil client, de 0 à 1000 chez Live Analytics, sur sa propension à se rendre à un événement, et de dresser une liste des meilleurs prospects. Les taux de conversion des campagnes de marketing n’en sont que plus élevés. Et les campagnes de fidélisation, notamment auprès des abonnés, n’en sont que plus efficaces. Live Analytics s’est également servi de la data pour développer un outil de yield management, qui permet de faire varier le prix des billets dynamiquement en fonction de la demande, et d’optimiser encore plus le remplissage des jauges. Un domaine dans lequel de nombreuses expérimentations devront encore être faites, selon John Forese, avant de trouver le bon modèle.

VIDEO : « Ticketmaster LiveAnalytics: Big Data and Sports Ticketing », MIT Sloan Sport Analytics Conference, 2012

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