latin : proscenium, du grec proskênion, de skênê, avant-scène

Pandora branche une billetterie en ligne sur ses big datas

TicketflyL’interconnexion directe avec le live est-elle l’avenir du streaming ? C’est ce que suggère  le rachat par la radio interactive Pandora de la société américaine de billetterie en ligne Ticketfly. Avec de gros enjeux à la clé en terme d’agrégation et de traitement des big datas autour de la musique, et de création d’une plateforme de découverte à 360° qui intégre la dimension de la scène.

L’annonce du rachat du service de billetterie en ligne américain Ticketfly par la radio interactive Pandora, pour 450 millions de dollars, est une bonne nouvelle à plus d’un titre. Elle démontre l’opportunité qu’il y a, pour les capital-risqueurs, d’investir dans l’innovation en matière de spectacle vivant. Ticketfly, qui a fourni ses services de billetterie en ligne à quelques 1200 salles et événements de petite et moyenne jauge jusque là, évitant ainsi d’attaquer de front le leader américan Ticketmaster (Live Nation), se vend ainsi – pour moitié en cash, pour moitié en actions de Pandora – plus de cinq fois le montant de ses levées de fonds successives en sept ans, à hauteur de 87 millions de dollars.

En matière d’innovation, Ticketfly a surtout mis l’accent sur le développement d’outils analytiques et de services de marketing en ligne permettant à ses clients – des salles indépendantes comme le Troubadour à West Hollywood ou des événements comme le Pitchfork Music Festival – de tirer le meilleur parti des big data collectées grâce à la billetterie en ligne. « [Nous fournissons] aux lieux et aux promoteurs de concerts des données précieuses sur ce qui marche auprès du public. […] Quand les fans naviguent dans les listings de concerts, nous leur faisons des recommandations basées sur la salle qu’ils préfèrent ou sur les événements auxquels prévoient d’assister leurs amis », explique son PDG Andrew Dreskin dans une interview.

Mieux cibler l’offre de concerts

« Nous aidons également nos clients à rendre leurs campagnes de marketing plus efficaces, poursuit-il, en fonction de ce qui fonctionne ou pas. Un promoteur peut par exemple comparer l’efficacité relative de l’affichage de bannières ou de la publicité par mots-clés pour stimuler les ventes de billets sur Internet. Ou identifier l’objet du message qui déclenche le plus fort taux d’ouverture dans les campagnes par e-mail. » En ciblant beaucoup plus l’offre de concerts grâce aux data de la billetterie, et en la rendant plus convaincante pour le public, Ticketfly optimise le remplissage des salles et multiplie les occasions d’assister à de bons concerts pour les fans.

En 2014, Ticketfly a vendu 16 millions de billets pour près de 90 000 événements live, et réalisé un chiffre d’affaires d’un demi-milliard de dollars. C’est une entreprise en pleine croissance. Ses commissions sur les ventes de billets, de 35 millions de dollars en 2014, se sont élevées à 55 millions de dollars au premier semestre 2015. Mais pour Pandora, Ticketfly n’est pas qu’une machine à cash lui permettant de diversifier ses sources de revenus. Les synergies potentielles entre les deux compagnies sont nombreuses, et ouvrent des perspectives inédites.

Pandora produit lui-même des big datas sur les goûts musicaux de ses 80 millions d’auditeurs mensuels, qui sont géolocalisés et constituent une population beaucoup plus susceptible de se rendre à des concerts que la moyenne des américains. La compagnie a déjà fourni des données sur les auditeurs de ses flux musicaux personnalisés aux artistes pour les aider à optimiser la programmation de leurs tournées. En début d’année, elle a permis aux Rolling Stones de vendre 55 000 billets de leur Zip Code Tour en 24 heures, via des opérateurs de billetterie tiers vers lesquels elle renvoyait ses auditeurs. Cet été, Pandora a écoulé en moins de 20 minutes, grâce à des messages publicitaires du groupe ciblant ses fans, 25 % de l’inventaire d’un show du duo électronique Odesza dans une grande arène à New York, contribuant ainsi à la programmation d’une date supplémentaire.

Le chaînon manquant du live

Ticketfly vient compléter tout un arsenal de données que Pandora avait déjà augmenté au printemps dernier en faisant l’acquisition de la société Next Big Sound. Next Big Sound s’est fait une spécialité de mesurer les interactions entre fans sur les réseaux sociaux et d’organiser ces métriques en tableaux de bord. Ses données analytiques permettent notamment à Pandora, qui vit essentiellement de publicité jusque là, d’aider les marques à identifier les artistes dont elles ont intérêt à se rapprocher et à mieux cibler leurs campagnes de publicité. D’autres mouvements similaires se sont produits dans l’univers du streaming, avec le rachat de The Echo Nest par Spotify ou de Semetric (Musicmetric) par Apple. Mais ni Apple, ni Spotify n’ont accès à cette troisième dimension des big data de la musique qu’est la billetterie, au côté des habitudes d’écoute et des interactions sociales autour des artistes.

Pour Pandora, l’acquisition de Ticketfly s’inscrit dans une stratégie clairement affichée depuis deux ans et la nomination de son actuel PDG Brian McAndrew : créer de la valeur pour les artistes et les labels, au delà des seules royalties que son service de radio interactive génère aux Etats-Unis. C’est ce qui a présidé l’an dernier au lancement de la plateforme AMP (Artist Marketing Platform), dont l’objectif était de partager les données analytiques collectées par son service de radio interactive avec les artistes. Cette plateforme devrait donc s’enrichir désormais d’indicateurs directement liés à la scène, qui, bien plus que le disque, constitue une source de revenus importante pour les artistes. L’acquisition de Ticketfly permet également à Pandora de proposer à ses auditeurs une plateforme de découverte à 360° qui inclut la dimension du live.

Le service de radio interactive américain, qui n’est toujours pas rentable dix ans après son lancement, va pouvoir désormais vendre des millions de billets de concerts sans intermédiaire. L’avenir du streaming passe peut-être par son interconnexion avec le live. C’est ce qui permettra en tout cas à Pandora de faire valoir un argument de poids dans ses négociations avec les labels qui ont adopté une stratégie à 360°, pour obtenir des deals en direct comme la compagnie en a déjà conclu avec l’organisme Merlin ou BMG Rights Management, avec des taux de royalties inférieurs à ceux fixés par le Bureau du copyright américain. Le marché visé par Pandora en matière de billetterie n’est pas négligeable. « 40 % des billets de concert ne sont pas vendus, indique Brian McAndrew, la plupart du temps parce que le fan d’un artiste ne sait pas qu’il se produit dans sa ville. »

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