latin : proscenium, du grec proskênion, de skênê, avant-scène

Accompagner les nouveaux « startupers » de la culture

creatisUne nouvelle génération d’entrepreneurs culturels émerge, natifs du Web ou issus de l’univers de la création, qui inventent de nouveaux modèles économiques et de nouveaux usages, en surfant sur les opportunités que représente le numérique en terme d’innovation. Tout un écosystème se met peu à peu en place, à l’échelle des territoires, pour les accompagner dans leur développement.

C’est au dernier étage de la Gaîté Lyrique à Paris que s’est installé l’incubateur Creatis, une résidence de jeunes pousses culturelles hébergées dans cet ancien théâtre prestigieux, que la Ville de Paris a transformé en centre culturel dédié aux musiques actuelles et aux arts numériques. Carpe Diese – première école de musique par webcam – y a côtoyé La Plage – projet de centre culturel dédié au Hip Hop qui doit ouvrir ses portes à l’automne 2015 sur 1400 m2 à Paris, au premier étage de la Canopée des Halles. Et les fondateurs de la start-up Augmented Acoustics – dont les casques connectés permettent d’avoir un son HD dans les oreilles pendant les concerts – y croisent aujourd’hui ceux de 1D-Lab – coopérative de labels indépendants qui développe des modèles de distribution alternatifs sur Internet – ou encore les artistes de la GAM – Guilde des artistes de la musique, qui se bat pour la défense des droits des artistes dans l’environnement numérique.

Réseaux

Incubateurs et accélérateurs de start-up ; clusters et pépinières d’entreprises ou d’associations ; « labs », couveuses et coopératives d’activité et d’emploi… c’est toute une myriade de structures d’accompagnement des acteurs culturels ou des nouvelles technologies qui maillent le territoire. Créée en 2014, le collectif MERCI (Mission Entreprendre Réseaux Culture Innovation) référence tous ceux qui apportent un soutien direct aux porteurs de projets d’entreprises culturelles : en leur fournissant des prestations d’hébergement, de formation, de conseil, de mise en réseau et d’assistance à la recherche de financements. Ces dispositifs d’accompagnement en viennent tous directement ou indirectement, à travers des actions de formation et d’information, à accompagner les acteurs culturels dans la transition vers l’économie numérique, et à adopter des modes de gouvernance, d’organisation, de collaboration ou « coopétition », et de mutualisation des ressources et compétences, directement inspirés de l’univers des start-up.

C’est une des préconisations du rapport sur l’entrepreneuriat dans le secteur culturel de Stephen Hearn, lui-même fondateur de l’incubateur Creatis, que de multiplier ces initiatives de pépinières, de clusters et d’incubateurs à une échelle régionale. Compétentes en matière de développement économique, d’innovation, de formation professionnelle, d’aménagement du territoire et de culture, les régions sont les mieux placées pour soutenir ces structures d’accompagnement, avance le rapport. «  L’action des entreprises culturelles est souvent territorialisée et participe au développement local. La région est donc l’échelon adéquat pour défendre une vision élargie de l’entrepreneuriat et de l’innovation en incluant la culture dans les programmes existants et en organisant les premiers écosystèmes d’appui à l’innovation culturelle pour mettre en réseau ses acteurs », écrit son auteur.

Culture et innovation

Ces initiatives peuvent être inscrites par les régions dans le nouveau programme « Europe Creative 2014-2020 » de la Commission européenne, qui soutient les mesures visant à améliorer les compétences entrepreneuriales des professionnels du secteur de la culture – ce qui peut permettre de financer des formations, ainsi que des réseaux d’échanges de bonnes pratiques et de coordination entre professionnels du secteur. D’une manière générale, elles ont vocation à insérer autant que possible les entreprises du secteur culturel dans des dispositifs de droit commun comme les programmes de stimulation de l’entrepreneuriat et de l’innovation ; en allant contre la prédominance d’une conception technologique de cette dernière, et en plaidant pour la reconnaissance de l’innovation culturelle en tant que telle : en terme de contenu, de produit ou service, d’usage, de mode d’organisation, de processus de création ou de distribution, et même de schémas de pensée.

Des profils d’entrepreneurs culturels innovants, qui cherchent à surfer sur les opportunités du numérique, il n’en manque pas. Certains sont des « natifs » du Web porteurs de modèles de rupture ou de « désintermédiation » – à l’instar de Common-Stage, une plateforme encore en béta-test qui permet de lancer des campagnes de financement participatif pour l’organisation d’événements culturels. D’autres sont directement issus du monde de la création, et introduisent de nouveaux modes de développement et de relation avec le public qui s’appuient sur les nouveaux usages, à l’instar des deux fondatrices de Nomadmusic. A la fois plateforme de partage et de découverte de nouveaux artistes, et label de musique classique, de jazz et de world music 100 % numérique, Nomadmusic publie des livrets multimédia avec ses albums, proposés uniquement en téléchargement (en qualité MP3, CD ou HD), ainsi que des podcasts, des vidéos, et un webzine musical.

Financer l’amorçage

Créée par deux jeunes femmes – Clothilde Chalot, 32 ans, et Hannelore Guittet, 31 ans – la jeune entreprise, qui se définit comme un label de musique « augmentée », est parvenue à financer son lancement sur la plateforme de crowfunding KissKissBankBank à hauteur de 16 000 € de dons, fédérant par la même occasion toute une communauté d’internautes autour de son projet. Pour ses fondatrices comme pour toute une nouvelle génération d’entrepreneurs culturels, la révolution numérique a définitivement changé la donne : « Grâce au crowdfunding, NoMadMusic est né de la solidarité et de la volonté d’en finir avec un climat de sinistrose ambiant sur fond de crise de la musique », confiait il y a quelques mois Chlotilde Chalot au site BusinessOfeminin.

Certains dispositifs de financement peuvent bénéficier à ces start-up culturelles, comme le programme Paris Innovation Amorçage – qui ne cible plus spécifiquement l’innovation technologique mais s’ouvre de plus en plus aux innovations d’usage en matière culturelle, et devrait être décliné dans d’autres villes. Un premier fond d’amorçage dédié à des start-up abordant la culture de manière innovante en terme d’usage ou de produit s’est créé l’an dernier. Baptisé Chrysalid, il a permis de financer l’amorçage de cinq entreprises en 2014, pour un montant total de 2 millions d’euros, et est désormais financé à hauteur de 20 millions d’euros. Des entrepreneurs installés depuis un ou deux ans, et qui ont montré qu’ils avaient, plus qu’une intuition, un modèle économique et un projet qui se développe, peuvent venir frapper à sa porte pour tenter d’obtenir un financement de quelques centaines de milliers d’euros.

Les nouvelles entreprises culturelles en couveuse dans les incubateurs ne sont pas encore confrontées au marché et ne commercialisent toujours pas leur produit. Elles doivent l’inventer, le faire exister, le vérifier. « C’est ce moment très particulier qu’il faut protéger, considère le fondateur de Creatis. Et c’est là que les fonds d’investissements ont normalement un rôle à jouer, parce qu’ils ont ce que n’ont pas les banques, à savoir le goût du risque. »

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